Synthèse Géographique

Adapté d’un article de Marc Tremblay publié dans la revue Sous Terre (vol 5, no 3, 1988)


Localisation

La zone en cours d’exploration se situe dans l’extrémité sud-est de l’état de Puebla aux confins des états de Veracruz et de Oaxaca, à environ 300 km à vol d’oiseau de Mexico ou plus précisément, 60 km au sud de Cordoba.

Le secteur que nous nous proposons d’étudier se présente comme un polygone difforme circonscrivant le plateau montagneux de la Sierra Negra. Les limites actuelles de ce polygone sont temporairement définies de la façon suivante : au nord-ouest par l’angle joignant le sommet du Zizintepetl (3 250 m), Tlacotepec de Diaz et Villa del Rio; au sud-est par le Rio Petlapa; à l’ouest et à l’est par les lignes nord-sud passant respectivement par le sommet du Villa del Rio. Il est à noter que cette zone recoupe les municipalités de San Sebastian, Tlacotepec et de Coyomeapan.


Physiographie régionale et locale

Le Mexique est divisé en provinces physiographiques dont quatre se retrouvent dans l’état de Puebla. La région nous concernant est localisée dans la province de la Sierra Madre del Sur (la Sierra Mère du sud), région fort complexe géologiquement. Celle-ci, de nouveau divisée en sept sous-provinces dont l’une, las Sierras orientales, comprend au nord une partie de la Sierra Zongolica, et au sud, la Sierra Negra.

Afin d’éviter toute confusion, nous utiliserons à l’avenir l’appellation « Sierra Negra » (la Sierra Noire...) pour désigner le secteur qui fait l’objet de nos investigations.

La Sierra Negra est le prolongement d’une grande crête montagneuse au sommet culminant à 3 250 m, le Zizintepetl. En se dirigeant vers le nord-est, cette crête s’aplatit et affecte peu à peu la forme d’un plateau bosselé se terminant en pointe avant de mourir dans la plaine côtière. Toujours en allant vers le nord-est, la dénivellation diminue assez rapidement depuis le sommet du Xicintepelt jusqu’à un premier « plateau », d’environ 3 km2, d’au moins 1 800 m d’altitude, pour ensuite descendre au cœur de la Sierra Negra, un plateau d’environ 6 km2 à une altitude moyenne supérieure à 1 000 m.

Le massif est bordé au nord-ouest par le Rio Coyolapa et au sud-est par le Rio Petlapa qui drainent vers le golfe du Mexique un territoire beaucoup plus vaste. Le patron de drainage est subparallèle et rectangulaire en sierra alors qu’il tend à s’anastomoser dans les vallées basses.


Climat

Le climat régional qui affecte la Sierra Negra dépend beaucoup des vents alizés provenant du golfe du Mexique. Le déplacement des masses d’air chargées d’humidité combiné avec un phénomène de convection local provoquent les précipitations maximales à l’été. En automne, ce sont les cyclones tropicaux qui contribuent à charger l’air d’humidité. En hiver, les pluies diminuent peu à peu et le printemps est caractérisé par des masses d’air sèches et chaudes. Le maximum de température est en mai alors que le soleil est à son premier passage par le zénith dans son cheminement jusqu’au tropique du Cancer. Le minimum est en janvier, mais il ne gèle pratiquement jamais. Les zones climatiques sont nettement influencées par les variables altimétriques : notons le contraste frappant du climat chaud et humide de la plaine côtière et celui des sommets enneigés des pics volcaniques! Dans la Sierra Negra, les zones climatiques se divisent en franges plus ou moins orientées nord-sud et vont affecter directement la répartition de la végétation et de la population ainsi que l’évolution géomorphologique du massif (karst inclus!).

À une altitude inférieure de 1 000 m, comme à Tlacotepec de Diaz, la précipitation totale annuelle varie de 2 500 à 4 000 mm, et la température moyenne de 22 à 26 °C : c’est le climat chaud et humide avec pluies toute l’année. Vers l’ouest, l’altitude augmente et les températures diminuent pour varier entre 18 et 22 °C, avec un régime pluviométrique supérieur à 2 500 mm : c’est le climat semi-chaud humide avec pluies à l’année. Tous les phénomènes karstiques que nous avons explorés se retrouvent dans cette zone climatique.

Enfin, plus à l’ouest encore, dans la partie de la Sierra Negra située à plus de 1 600 m, c’est le climat tempéré humide avec pluies abondantes à l’été qui prédomine. Il est caractérisé par une température moyenne annuelle oscillant entre 12 et 18 °C et un régime total annuel de 1 200 à 2 500 mm. Enfin, mentionnons le climat sec et chaud de la vallée de Tehuacan où la température moyenne annuelle dépasse 20 °C et les précipitations totales annuelles sont inférieures à 500 mm.


Végétation (Collaboration spéciale de Pascal Samson)

Au Mexique, la végétation est intimement contrôlée par le type de sol, le climat et, surtout, l’altitude. Plus de 30 000 espèces végétales se partagent ce territoire, nombre bien supérieur à celui de l’Union Soviétique, pourtant 11 fois plus grand en superficie.

La Sierra Negra se situe à la jonction de deux formations végétales majeures aux limites quelque peu arbitraires. Dans le fond de la vallée du Coyolapa, la forêt tropicale moyenne subperennifoliée domine avec des arbres de 15 à 20 m de haut dont 30 % perdent leurs feuilles durant la saison sèche. Sur le plateau et plus en altitude, c’est le domaine de la végétation mésophile de montagne où les proportions de pins et de chênes (respectivement des genres Pinus et Querdus) établissent la distinction des zones végétales.

La végétation mésophile de montagne prospère habituellement sous un climat tempéré et humide dans des altitudes variant entre 400 et 2 900 m. La forêt est dense et les arbres atteignent en moyenne de 15 à 35 m de haut. La principale caractéristique de cette formation est sa grande diversité d’espèces dont bon nombre croissent à même les arbres (orchidées, fougères diverses). Beaucoup d’espèces tropicales de nos maisons ont été empruntées à cette végétation : philodendrons, magnolia, bégonia et fougères.

C’est le pin qui engendre la plus grande exploitation forestière, grâce à sa grande utilité industrielle et son usage domestique pour les meubles et les maisons. Le chêne étant un bois plus dur à travailler, il reste marginalement exploité. De plus, l’épais couvert de la végétation mésophile de montagne retient fortement l’humidité et incite les paysans à opérer la coupe de façon intensive pour cultiver le maïs et le café. Évidemment, il en résulte des problèmes d’érosion du sol assez généralisés.

Parmi les curiosités rencontrées, citons le mimosa carnivore (Mimosa pudica) dont les feuilles se referment aussitôt qu’on y touche : le «quequestre» ou «maffa» (hoja elegante : Xanthosoma robustum) plante herbacée dont les feuilles atteignent jusqu’à 2 m de diamètre. Il y a les hibiscus dont les magnifiques fleurs orangées ont égayé notre table lors des repas, les «chayottes» (Sechium edule) sorte de fruit épineux et vert qui, une fois bouilli, ressemble agréablement au goût d’une purée de pois. N’oublions pas les «tepequinote», légume dont la saveur est des plus douteuses et qui ressemble à une pointe d’asperge, l’herbea sentea ou epazote (Chenopodium ambrosoïdes) dont les feuilles servent à enrober une sorte de roulé impérial ; sa bonne odeur se répand dans l’air environnant quand on en écrase les feuilles. Aussi, nous avons expérimenté les «limón ou nanche», fruit qui ressemble à une orange de couleur jaune (Byrsinima crassifolia) et qui goûte plutôt le vieux pamplemousse qui se dessèche. Enfin, certains champignons, les «hongos», recelant des propriétés hallucinogènes, ont un usage médical chez les Indiens et furent longtemps un attrait pour les vagues de «hippies» des années ’70.


Géologie

La géologie est fort complexe à l’échelle régionale. Au nord s’étend la province de l’axe néovolcanique où le développement de grands stratovolcans comme le Pico de Orizaba ne remonte qu’au Pliocène moyen. La Sierra Negra est comprise dans une vaste province qui traverse le sud de l’état de Puebla : la province de la Sierra Madre del Sur. Cet ensemble rassemble plusieurs terrains polymétamorphiques anciens allant du Précambrien au Mésozoïque, regroupés en complexes dont les interrelations stratigraphiques et structurales sont difficiles à déterminer avec précision.


Stratigraphie

C’est une épaisse séquence de roches calcaires qui compose la majeure partie de la Sierra Negra. Il est difficile d’évaluer la puissance de cette séquence étant donné le passé structural assez complexe de cette région.

L’unité la plus ancienne remonte au Jurassique supérieur, et est constituée de shales et de grès gris-vert intercalés de corps calcaires. Elle se retrouve sous les calcaires du Crétacé supérieur par le biais d’une faille inverse. C’est une bande étroite au nord-ouest de notre zone dont l’extension au sud-est reste à mieux définir.

Les calcaires de la Sierra Negra appartiennent au Crétacé inférieur et ont une origine sédimentaire variable qui est toujours associée à un milieu de plate-forme récifale. À la base de la séquence, la Formation Miahuatepec de l’Aptien se caractérise par un calcaire gris très plissé et faible avec fractures remplies de calcite. Vient ensuite la Formation Morelos de l’Albien-Cénomanien, avec un calcaire gris massif fossilifère à gastéropodes, rudistes et microfossiles. Les deux formations suivantes sont aussi de l’Albien-Cénomanien. La Formation Orizaba est un calcaire dolomitique massif avec des rudistes et des fragments de bryozoaires. Enfin, les calcaires gris foncé et boudinés de la Formation Tamaulipas Superior reposent au sommet de la séquence et représentent un approfondissement du bassin de déposition, annonçant la fin des séquences calcaires.

Toute la masse calcaire du Crétacé inférieur est placée en discordance sur les argilites jaunâtres du Crétacé supérieur par l’action de failles de chevauchement. Cette unité d’argilites affleure dans les vallées et entoure la partie orientale de la Sierra Negra. Enfin, au coin nord-est de la région et en aval du Petlapa sont retrouvés des flyschs jaunâtres du Paléocène, reposant en concordance sur l’unité précédente.


Structure et tectonique

La province de la Sierra Madre del Sur constitue une région de haute complexité structurale dans laquelle on retrouve plusieurs domaines tectoniques superposés. Une phase de compression débutant à la fin du Mésozoïque et se poursuivant au Tertiaire est responsable des nombreux plissements et chevauchements affectant les calcaires de la Sierra Negra. Les failles normales sont associées à un ensemble de horst et graben résultant d’une phase de décompression au Quaternaire : le volcanisme au nord en est une autre conséquence.

Ces deux phases et particulièrement la première ont imprimé à la structure une orientation générale selon une direction 150 °-330 °. Ceci est particulièrement visible vers l’est, aux abords du réservoir Miguel Aleman, alors que les plissements ont une relation très claire avec la morphologie du terrain. Les plis sont en revanche peu évidents en sierra car les processus karstiques ont énormément modifié le relief.

À l’ouest de la Sierra Negra, vers la vallée de Tehuacan, on retrouve des roches vertes cataclastiques du Crétacé appartenant au Complexe Cuicateco. Les protolithes de ces roches métamorphiques correspondent à des roches sédimentaires marines intercalées avec des coulées volcaniques, indiquant une zone tectonique d’arc insulaire magmatique au Crétacé. C’est donc dans ce contexte que se sont formés les calcaires de la Sierra Negra. On compare d’ailleurs leur milieu de déposition à celui qui existe actuellement au Great Bahama Bank, dans les Bahamas.
Travaux futurs

Cette synthèse géologique a été produite à partir de documents publiés par le gouvernement mexicain sur l’état de Puebla et un rapport géologique sommaire à l’échelle 1/250 000 qui couvre notre région. À la lueur des premiers relevés effectués sur place, il semble exister des inconsistances qui deviennent une véritable lacune à l’échelle où nous travaillons.

Nous devrons donc reconnaître les unités sur le terrain et établir nous-mêmes une carte géologique détaillée de la Sierra Negra, ceci afin de mieux comprendre les relations du karst avec la géologie locale.


Karstification

Sur le terrain, le relief est clairement le résultat du développement actuel d’un karst conique où les dolines sont omniprésentes. L’Entonnoir, la grande doline d’entrée du Sotano de los Planos, fait figure de « creux », en comparaison de certaines dépressions monstres.

La carte topographique montre clairement au moins deux alignements importants de dolines pouvant éventuellement correspondre à deux systèmes indépendants. Une étude plus approfondie de la carte peut permettre de déceler d’autres alignements ou linéaments dont l’interprétation est parfois suggestive. Ils correspondent souvent à des discontinuités géologiques telles que des zones de fractures ou des failles qui sont souvent des axes préférentiels pour le développement du karst. En juxtaposant sur la carte les alignements de dolines avec les linéaments, on peut supposer deux emplacements probables de résurgences majeures émanant d’un ou de deux systèmes souterrains hypothétiques.

Prenons l’hypothèse d’une résurgence donnant sur le rio Coyolapa à une altitude d’environ 200 m, tel que suggéré par l’intersection de l’alignement de dolines de Tepepa et du linéament plus à l’ouest. Or, l’analyse du profil développé du Coyolapa montre un gradient de pente s’adoucissant de façon remarquable à partir d’un point situé à 200 m d’altitude. Changement géologique ou apport d’eau majeur? Exactement orientée dans l’axe des dolines de Tepepa, la puissante résurgence de Coyolatl semble pointer le même endroit.

Les visites souterraines et la cartographie des cavités nous ont confirmé le contrôle structural exercé par les fractures géologiques, par les plissements du calcaire ainsi que par les formations imperméables dont la position est actuellement mal définie. Certaines cavités, comme le Sotano de Los Planos, ont un développement nettement dirigé par la présence d’une zone de failles. Tout au long de la Rivière-en-dents-de-chien, on peut observer de magnifiques brèches qui comportent des blocs de calcaire baignant dans une matrice de cristaux de calcite atteignant parfois 10 cm.

Enfin, il faut mentionner que tous ces gouffres et abîmes n’existeraient probablement pas si les calcaires et leur structure favorable n’étaient pas assistés de deux précieux acolytes. Le premier, c’est l’épais couvert végétal qui produit le CO2 nécessaire à la dissolution. Le second, c’est la pluie si abondante qu’elle finit par nous faire pleurer. « Allons!... Il pleut : le karst se creuse! »


L’âge du karst

La configuration de la Sierra Negra est le résultat érosionnel typique de l’incision profonde du rebord d’un massif montagneux par deux cours d’eau parallèles, développés le long de systèmes majeurs de fractures géologiques. Le flanc sud-est de la Sierra Negra est particulièrement escarpé et découpé avec la régression du massif calcaire amorcée par l’enfoncement du Rio Petlapa. Au nord-est, les pentes sont plus douces, attestant de l’influence d’une plus grande quantité de roches terrigènes ou peut-être du fait que la vallée du Coyolapa serait plus ancienne que sa voisine du sud.


Ceci nous place d’ailleurs en face d’un point à élucider plus tard : quelle est la vallée la plus ancienne? Ou est-ce que les vallées du Petlapa et du Coyolapa sont synchrones? Le développement du karst dans la Sierra Negra dépend de l’évolution d’un niveau de base associé au fond de l’une (ou) de ces deux vallées. Pouvoir évaluer l’âge relatif de celles-ci nous permettrait de mieux cerner le contexte évolutif du karst et ainsi, de mieux orienter les recherches.